Vivre et survivre dans la société d'aujourd'hui

« J’ai appris, dit le Petit Prince, que le Monde est le miroir de mon Âme… Quand elle est enjouée, le Monde lui semble gai. Quand elle est accablée, le Monde lui semble triste. Le Monde, lui, n’est ni triste ni gai. Il est là, c’est tout. Ce n’était pas le Monde qui me troublait, mais l’Idée que je m’en faisais… J’ai appris à accepter sans le Juger, totalement, inconditionnellement… »

Saint Exupéry

 

En 1991,  Mylène Farmer chantait “Je suis d’une génération désenchantée” et exposait les défis et tourmentes de la vie. Elle exposait ses prises de conscience face à l’impitoyable décalage entre les rêves et la réalité. Elle exposait sa quête de sens, de bonheur, mais aussi son envie de rébellion face à la fatalité d’un monde trop complexe et ambigu. 

Plus de 30 ans après, on peut le dire, nous n’avons jamais été aussi désenchantés. “Vivre et survivre dans la société d’aujourd’hui”, c’est ainsi que nous avons choisi d’appeler ce thème car les paroles de Mylène Farmer résonnent encore, et toujours sonne le glas d’un monde qui n’a jamais été aussi compliqué. 

En effet, nous sommes dans un monde de controverses et une société de transitions, et les mutations sociales, économiques, technologiques ont rendu indispensable la faculté d’adaptation. Nous sommes dans un monde ultra connecté et facile, pourtant la solitude nous pèse et avec elle son lot de troubles. Les exigences ne cessent de s’accroître et la santé mentale est constamment évoquée. Aujourd’hui, lorsque l’on regarde une annonce pour un emploi, est toujours présent le presque pamphlet : “vous disposez d’une forte capacité d’adaptation”. Et dans la vie, c’est absolument pareil. Pourtant, si pour certains l’adaptation est presque innée, pour d’autres, c’est loin d’être chose aisée et il est parfois difficile de naviguer entre tous ces changements que le monde nous impose. 

Ainsi, nombreuses sont les attentes de la société, tant sur le professionnel que personnel, pesant sur notre quotidien et entravant notre bien être émotionnel. Aussi, la vie est tant facilitée, que la satisfaction et l’épanouissement sont devenus des denrées rares. Dépression, anxiété, stress et tant de traumatismes s’installent parfois en garde alternée ou en cohabitation dans nos consciences, et nous empêchent d’avancer. Pour certains, nous devons nous préparer à changer de métier, nous devons cohabiter avec la digitalisation ou la machine ce presque nouveau meilleur ami, nous devons jongler avec les attentes d’un monde toujours plus exigeant, en essayant d’avancer dans notre propre cheminement personnel et on se perd. Parallèlement, on observe un phénomène déconcertant à bien des égards. Si pendant longtemps la santé mentale était un peu le bonnet d’âne pour beaucoup et trop souvent ignorée, aujourd’hui elle est presque devenue trendy et de plus en plus de personnes affirment être touchées par tel ou tel trouble. Être bipolaire ou schizophrène, c’est presque devenu sexy, notre relation était forcément toxique, beaucoup sont pervers ou perverses narcissiques. “Problématique” est le mot à la mode. On se prétend parfois HPI ou Borderline et pourtant on ignore souvent de quoi il s’agit vraiment. 

A côté, le changement de  mœurs, lui aussi, propose son lot de paradoxes. La parole est libérée, pourtant on ne peut plus parler de rien. Nous prônons de plus en plus un certain body positivisme, pourtant Instagram et ses icônes, perdurent et l’image parfaite n’a jamais été autant redéfinie. Les idoles d’hier sont les désillusions de demain, mais finissent toujours par revenir. Car oui, nous vivons dans un monde de nostalgie et de résurgence, le tout teinté d’un éternel recommencement. Les 70s n’ont jamais été aussi trendy, le taille basse devenue has been revient en force, et l’on se remet à apprécier nos ensembles des 90s. Ici je vous parle du vestimentaire, mais il s’agit en réalité d’un “tout général”. Au fond nous sommes désenchantés, car nous revivons sans cesse le passé, les tendances émergent et reviennent un beau jour, mais entre-temps, nous avons dû nous adapter.  Quelle version de nous même est la bonne? Mince ou mince avec des formes, des hanches ou des seins?  Pulpeuse ou sensuelle? Les codes de beauté à géométrie variable nous perdent et nous entravent, avec en arrière-plan la menace des troubles alimentaires dans notre relation au corps et estime de nous même. Car oui, développer des TCA dans un monde où notre image est un peu notre marque de fabrique, n’est pas surprenant. Parallèlement, à l’heure où le body positivisme c’est trendy, on dénonce de plus en plus le beauty privilège, dont ceux qui seraient plus “esthétiquement agréables” seraient privilégiés.

Un petit tour du côté des Arts…

Tenant compte de ces considérations, un petit détour du côté des Arts s’impose alors, et, nous fait prendre conscience que “Vivre et survivre dans la société d’aujourd’hui”, c’est en réalité un sujet d’actualité, pourtant transposable à toutes les époques. 

Ainsi, sur le poids des autres et de la société, la littérature nous donne à voir de nombreuses réflexions sur la liberté individuelle, et le poids de la sphère médiatique. Dans 1984,  George Orwell nous dépeint un monde où toute pensée et expression individuelle sont réprimées face à un gouvernement omniprésent et répressif. Un point de vue similaire dans La Société du Spectacle de Guy Debord sorti en 1967, où celui-ci nous propose une comparaison entre le monde réel et la société du spectacle, démontrant à quel point la transposition est facile. Ainsi, il nous présente une société de consommation de masse où chacun est dicté par les commandements de la “bonne parole” des médias dans une optique de validation sociale. La réalité est alors tricotée en un spectacle aliénant et chacun participe à cette réalité superficielle créée par les médias et la pensée dominante. Pourtant datés, ces ouvrages sont résolument toujours d’actualité. Ainsi, transposées à la société d’aujourd’hui, ces deux œuvres nous invitent à nous questionner sur la préservation volontaire ou non de notre authenticité, sur l’influence des autres, des médias et la nécessité de trouver le juste équilibre entre réalité et virtuel afin de conserver notre bien être émotionnel. 

Sur le pan de la santé mentale, les Arts s’en sont donnés à coeur joie. Ainsi, du côté du 7ème art, dans Hapiness Therapy sorti en 2012, avec Bradley Cooper, Robert de Niro et Jacki Weaver, est mise en scène la santé mentale via l’histoire d’un désenchantement face à la réalité du monde. C’est l’histoire de la retombée sur Terre, des illusions et espoirs perdus, dans un film qui “s’amuse des maux modernes”. Dans Hapiness Therapy, sont dépeints bipolarité et rapport au corps, par l’histoire d’un homme qui après avoir tout perdu et avoir été interné 8 mois pour troubles bipolaires, retourne chez ses parents. Il tente alors de se reconstruire, tout en développant une relation tumultueuse avec une jeune femme, elle aussi atteinte de nombreux troubles. 

Parallèlement, le rapport au corps et à l’estime de soi dans un monde parfois trop superficiel, a été mis en scène dans le mythique Le Diable s’habille en Prada avec Meryl Streep et Anne Hathaway. Le Diable s’habille en Prada c’est l’histoire de la rencontre de deux mondes. En effet, le film raconte la rencontre entre une jeune femme qui obtient un emploi prestigieux dans le milieu de la mode et qui doit s’adapter à sa nouvelle boss, ce tout nouveau monde, ces tous nouveaux codes et normes et aux pressions y afférant. Et on le sait bien, lorsque corruption, superficialité, image corporelle et monde du travail se rencontrent, cela fait rarement bon ménage.

Ces quelques exemples fictifs nous donnent à voir le portrait d’un monde ambigu, complexe parfois désenchanté, dans lequel il est souvent difficile de se faire une place.  Pour conclure sur la société de transition, l’individualisme, et ses problèmes, je dirais que nous devons trouver inlassablement des solutions d’adaptation pour la gestion du stress, la pression sociale et l’isolement. Toutefois, il arrive que nous soyons “en maintenance” et que toute tentative de solutionnement par nous-mêmes soit vaine. La thérapie se présente alors comme moyen d’avancer dans sa vie et de trouver des clés, parfois des réponses à des questions trop complexes pour une seule entité. 

Références : 

La Société du spectacle de Guy Debord. (s. d.). Résumé sur Dygest.
https://www.dygest.co/guy-debord/la-societe-du-spectacle

Paroles de désenchantée (+explication) – MYLÈNE FARMER. (s. d.). GREATSONG : Paroles de Chansons Officielles et Traduction musique.
https://greatsong.net/PAROLES-MYLENE-FARMER,DESENCHANTEE,13815.html

Sotinel, T. (2013, 29 janvier). « Happiness Therapy » : Histoire de fous, histoire d’amour. Le Monde.fr.
https://www.lemonde.fr/culture/article/2013/01/29/happiness-therapy-histoire-de-fous-histoire-d-amour_1824010_3246.html

St Verraut, B. (2022). HAPPINESS THERAPY. Explication de Film.
https://explicationdefilm.com/2019/05/31/happiness-therapy/

St Verraut, B. (2023). LE DIABLE S&rsquo ; HABILLE EN PRADA. Explication de Film.
https://explicationdefilm.com/2019/01/21/le-diable-shabille-en-prada/

Treffel, R. (2022). La société du spectacle selon Guy Debord. 1000 idées de culture générale.
https://1000idcg.com/societe-spectacle-guy-debord/#:~:text=La%20soci%C3%A9t%C3%A9%20du%20spectacle%20est,de%20gouvernement%20qui%20l’accompagnent.

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