Famille et générations

« La famille est un archipel »

Maurice Chapelan

 

Qui n’a jamais soupiré à la perspective d’un repas de fêtes traditionnel, où toute la famille est censée se réunir et échanger gaiement? Que dire à l’oncle que l’on pas vu depuis des siècles, que penser sans le dire, de la séparation du énième couple de l’adolescente rebelle de la famille ? Qui ne s’est pas agacé à l’idée de la présence d’une belle mère intrusive lors d’un repas mensuel, voire pire, hebdomadaire? Familles et générations, c’est ainsi que nous avons choisi de parler de ce large archipel qu’est la famille et ses hologrammes. Car il en est ainsi, entre liens et désillusions, conflits de générations, quiproquos et incompréhensions, la famille c’est souvent bien plus que l’angoisse de savoir quoi dire lors du dîner de Noël. En effet, on naît, grandit, se construit, vieillit dans cet archipel qu’est la famille, mais qu’advient-il des îles qui la composent et de son merveilleux équilibre? Dans un autre temps, on se réunissait autour de grandes tablées, où des familles entières, parfois pouvant regrouper jusqu’à cinq générations, se rassemblaient à de nombreuses occasions liées à la communauté (naissances, mariages, décès…), mais aussi lors de fêtes ou commémorations diverses, voire d’entraide. Mais qu’en est-il de nos jours à l’heure des divorces, des familles recomposées, monoparentales, homoparentales et de bien d’autres modèles, peut-être encore à inventer? Face à la quête d’une plus grande liberté individuelle, de l’évolution de la science (dons de gamètes, PMA…) et des législations (choix du nom de famille, garde alternée…), que reste-t-il de la famille du pater familias qui orchestrait toute la vie d’une famille, comme l’incarnait Marlon Brando dans la saga Le parrain

Malgré les transformations, la famille dès la naissance reste le lieu où l’on acquiert les bases de l’apprentissage et les codes éducatifs, où s’élaborent également la socialisation et les bases de la future personnalité. Devenue nucléaire, elle s’est fragilisée, et l’absence ou la défaillance de l’un de ses membres peut avoir des répercussions irréparables sur l’ensemble. Le modèle traditionnel pouvait pourvoir à cet aléa, car dans une famille élargie, ses membres pouvaient être interchangeables, et la solidarité pouvait fonctionner. Désormais, les liens tissés se liquéfient et les carences affectives surgissent plus rapidement.

Toutefois, l’appartenance à une famille n’est pas toujours de tout repos, car comme toute communauté, elle obéit à ses propres règles et peut rejeter la différence de pensées et de choix qu’elle considère comme intolérables. On constate encore le désaveu de certaines familles sur les options de l’un de ses membres (couple homosexuel, couple mixte, parfois même encore, divorce). Ces désaffections sont cruelles et peuvent aller jusqu’à l’exclusion de la famille, soit par un rejet formulé ou non de celle-ci, soit par l’auto exclusion d’un de ses membres. Gide exprimait bien ce sentiment dans son roman Les nourritures terrestres “Familles, je vous hais. Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur”.

On peut alors s’interroger : que reste-t-il de la famille aujourd’hui? Un socle, un refuge, où l’on va se nicher lors d’épreuves difficiles à gérer comme un divorce, un deuil, ou, un lieu où s’exacerbent les déséquilibres affectifs, source de stress, d’angoisse et de manque de confiance en soi…

Parlons des générations maintenant, de ce qu’elles transmettent, et de leurs conflits…Une famille peut regrouper plusieurs générations. Dans certaines, on a compté jusqu’à cinq générations et on peut remonter jusqu’aux arrière-arrière-grands-parents, mais cette configuration tend à devenir plus rare avec le recul de l’âge du mariage de nos jours. La famille dans sa  transmission du nom de famille, a laissé la trace sur plusieurs générations de personnalités connues du monde du spectacle ou sportif, à travers un nom de famille, parfois difficile à porter pour la descendance en quête d’identification. Parmi ces personnalités, on se rappellera  la famille Brasseur, acteurs sur  quatre générations ou la famille Noah, sportifs de haut niveau sur trois générations. 

Plus problématique, cette fois, se transmettent également, à travers les générations, des secrets de famille parfois lourds à porter et souvent longs à décrypter.

A l’intérieur d’une famille où coexistent plusieurs générations, des frictions pouvant aller jusqu’aux conflits, se font jour… En effet, une génération concerne les personnes qui ont approximativement le même âge et souvent les mêmes codes. Des baby-boomers, aux générations X, Y, Z et maintenant Alpha, s’observent déjà des comportements différents. Des réactions d’agacement, voire de rébellion, fusent de part et d’autre. Avec l’arrivée de la crise d’adolescence, les conflits entre générations s’intensifient en termes d’idéaux, de croyances et d’objectifs. Les codes de communication des jeunes sont nouveaux et différents des autres générations et peuvent bloquer le dialogue. Il est important de comprendre ce nouvel univers et de s’y adapter pour apprendre à mieux communiquer en évitant de rejeter en bloc.

Les conflits internes au couple, suivis des divorces en résultant, ont des conséquences sur les enfants, s’ils sont mal agencés. L’attribution de la garde, alternée ou pas, les familles recomposées dans de nouveaux couples, l’irruption d’une nouvelle famille  avec d’autres enfants, et la présence acceptée ou non d’un beau-père ou d’une belle-mère, bousculent le cadre habituel. Ce chamboulement amène une source d’angoisse, qui s’il n’est pas rétabli dans un nouvel équilibre, peut être dévastateur.

Parallèlement, des règlements de comptes entre générations peuvent surgir, lorsqu’il est question d’argent, et ceci est souvent le cas lors d’un décès, et de la lourde tâche incombant au notaire de régler les affaires d’héritage. Des enfants légitimes ou non, petits-enfants, veuves ou conjoints, collatéraux et autres, se déchirent la part du gâteau, qu’ils estiment mériter au nom d’un lourd labeur ou d’une pseudo proximité affective du défunt. Parfois la lecture d’un testament peut indigner, révolter et entraîner de violentes réactions, au mieux verbales, au pire s’accompagner d’une rupture définitive de la famille, dont on s’est senti exclu. 

In fine, on peut se poser plusieurs questions légitimes :  La famille est-elle toujours d’actualité ? Doit-on parler de familles avec un grand “S”, conjuguant l’arrivée de nouveaux modèles avec ou sans couple, ou des couples non figés dans le temps et sujets à évolution? Les enfants seront-ils les grands perdants de cette histoire ou trouveront-ils de nouvelles sources d’identification et d’ouverture au monde? On peut alors prolonger notre réflexion et se demander si lors de “ces à-coups familiaux”, la famille ne deviendrait pas une valeur refuge et un excellent moyen de retrouver des racines parfois délaissées, auprès d’autres membres conférant un nouvel équilibre. La preuve en est par ce nouvel engouement des jeunes générations pour la généalogie. ”Je grandis comme un arbre, j’ai besoin de mes racines” sont les valeurs fondatrices de l’association “les jeunes et la généalogie” créée en 2010, ce qui met bien en exergue la quête actuelle de racines à travers la recherche de ses ancêtres.

Un petit tour du côté des Arts…

Écrivains et réalisateurs se sont toujours préoccupés de la place de chacun dans la famille ainsi que de ses nombreux conflits, avoués ou pas. Le couple, malmené ou maltraitant, est souvent au cœur de ces préoccupations, et sa descendance fait l’objet de nombreuses interrogations, entre rébellion, adaptation ou survie, les schémas sont multiples et infinis.

Ainsi, nombre de réalisateurs se sont intéressés à la famille et à la place que chacun peut y occuper. A commencer par Rémi Bezançon qui, dans son film sorti en 2009, “Le Premier Jour du reste de ta vie » , dépeint le portrait d’une famille ordinaire de classe moyenne composée d’un couple et de leurs trois enfants évoluant sur une douzaine d’années. Le petit truc en plus? Le film est divisé en 5 journées, relatant un évènement particulièrement important pour la famille, et chaque jour se concentre sur le point de vue d’un membre particulier de celle-ci. En somme,  “Le premier jour du reste de ta vie”, c’est une mise en abîme complexe, mais réaliste des liens familiaux entre affections et conflits, c’est une illustration de comment les choix individuels peuvent perturber l’équilibre familial et, à quel point communication et compréhension sont primordiales au maintien de cet équilibre.

Le premier jour du reste de ta vie (Bande annonce)

Parallèlement, un autre aspect de la famille, plus conflictuel, a été abordé dans le devenu mythique “Le prénom”, réalisé en 2012 par Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière. “Le prénom”, c’est l’histoire de quadragénaires amis de toujours, dont deux faisant partie de la même fratrie, qui se réunissent lors d’un repas convivial. L’un d’entre eux, père pour la première fois et fier de sa nouvelle paternité, s’apprête, sur  la demande des autres convives, à donner le prénom de son futur enfant. Pourtant, l’annonce de ce choix censé être un moment de joie, va plonger cette famille dans la stupéfaction totale et entraîner réflexions acerbes et  libérer conflits et préjugés.

Le Prénom (Bande annonce)

Sur le pan de la littérature, nombreux sont les auteurs qui se sont penchés sur la famille et notamment ses conflits. Certains ont même tenté d’y trouver remède, alors que d’autres se sont faits les simples observateurs de la famille à travers les préoccupations de leur temps. David Safier dans son œuvre “Sacrée famille!” parue en 2012,  évoque les conflits de générations de manière loufoque en mêlant crises internes des familles actuelles bien réelles, au monde de l’imaginaire. Emma a sacrifié sa carrière pour élever ses enfants et se retrouver finalement face à son commerce au bord de la faillite et abandonnée de tous (ados en crise, mari indifférent…). Pour sauver sa librairie, elle décide de recevoir Stephenie Meyer, auteur de Twilight, en déguisant toute la famille en monstres pour l’occasion. Mais ils croisent sur leur chemin une vieille dame qui leur jette un sort et les propulse dans la peau de leur déguisement. Ils ne seront délivrés qu’en retrouvant la sorcière, ce qui signifie renouer avec l’esprit d’équipe et donc, retrouver l’esprit de famille.

Nous éloignant du monde imaginaire, pour nous rapprocher de préoccupations sociales, Victor Hugo nous offre dans “Les Misérables”, des histoires de famille entre complexité et destin entremêlés. “Les Misérables”, c’est notamment l’histoire de Jean Valjean, un ex bagnard en quête de rédemption, qui adopte la jeune Cosette après le décès de sa mère bien aimée. C’est l’histoire d’une famille “choisie”, d’un lien qui se tisse et se renforce au fil des épreuves et péripéties. En effet, Valjean et Cosette à travers mirages et obstacles se muent pilier de l’autre, passant de la simple bienveillance à une véritable relation père-fille. 

Ces exemples issus des Arts sont les témoins d’une famille aux contours de plus en plus flous, sans arrêt mise à l’épreuve des ruptures, des recompositions et de bouleversements incessants et souvent imprévisibles. Ce nouvel ordre est souvent sujet d’angoisse et certains pourraient même s’y perdre en chemin. La thérapie peut être l’une des réponses au mal être ressenti, comme le rapprochement  de sa famille au sens large, ou à travers la recherche d’un passé, la quête de ses racines…

Bibliographie:

Le premier jour du reste de ta vie. (2022, 6 décembre). Télérama.
https://www.telerama.fr/cinema/films/le-premier-jour-du-reste-de-ta-vie,348878.php

Sacrée famille ! – David Safier – Babelio. (s. d.). Babelio.
https://www.babelio.com/livres/Safier-Sacree-famille-/538643

Textualités, V. T. L. A. P. (2019, 20 mai). Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee. TEXTUALITÉS.
https://textualites.wordpress.com/2019/05/20/ne-tirez-pas-sur-loiseau-moqueur-de-harper-lee/

W, R. (s. d.). Le prénom – la critique du film. Avoir Alire – aVoir-aLire.com.
https://www.avoir-alire.com/le-prenom-la-critique-du-film

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