De l’isolation au harcèlement scolaire : Comprendre les frontières floues

L’exclusion versus le harcèlement scolaire, parfois il n’y a qu’un pas, et nombre d’entre nous ignorons réellement ce qui les sépare. 

Les émotions ressenties par Mélissa Theuriau, journaliste et productrice, lorsqu’elle revient sur son expérience d’isolement scolaire vécue à l’adolescence mettent en lumière la difficile frontière entre harcèlement scolaire et isolement scolaire, des réalités souvent proches et difficiles à vivre au quotidien. « Je ne sais pas si on appellerait ça harcèlement… On appellerait ça isolement, plutôt. J’ai vécu l’isolement c’est différent. Ça forge aussi », commence-t-elle par décrire, détaillant ce qui la hantait : « J’ai été isolée longtemps, plusieurs années. Et c’est très compliqué. Ça reste mon angoisse pour mes enfants, d’ailleurs. C’est de ne pas arriver à dire et à parler aux adultes de ce qui vous… je ne sais même plus l’expliquer », s’interrompt Mélissa Theuriau. Avant d’en exposer sa définition : « C’est de ne plus avoir envie d’exister presque. »

Un témoignage poignant d’un vécu parmi tant d’autres

A ce sujet, je vous livre ici le témoignage d’une patiente victime d’une exclusion en primaire, puis d’un harcèlement scolaire au collège, illustrant parfaitement ce basculement évoqué en amont. Elle a accepté que je relate son témoignage en respectant son anonymat. Voici son histoire : 

« Aussi loin que je me rappelle, l’exclusion a toujours fait partie de ma vie, et ce dès la crèche. Lorsque l’on devait se mettre en groupe, se tenir la main, marcher côte à côte, ou faire une activité quelconque, j’étais toujours la dernière choisie.

A l’époque je ne me considérais pas particulièrement comme différente, j’étais juste une enfant, mais il faut croire que pour les autres je ne faisais pas partie des « leurs ».

En primaire, j’ai été exclue de la même manière que plus jeune, mais afin de contourner la solitude, j’ai décidé de me lancer dans des « mono amitiés », ce qui après réflexion, n’était pas forcément une bonne idée. Je me rassurais en me disant qu’en ayant une amie fidèle, quelque part je ne serais jamais totalement exclue. Avec du recul je me dis que je me suis encore plus exclue que si j’avais cherché à davantage m’intégrer, car j’étais simplement considérée comme « la copine un peu lourde » d’une autre personne. Au final, le jour où cette personne m’a lâchée elle aussi, c’est tout mon monde qui s’est effondré, et je me suis aperçue que j’étais encore bien seule. La différence majeure que je soulignerais par rapport à la crèche ou à la maternelle, c’est qu’en primaire, ont commencé les remarques toujours très agréables sur mon physique tu es grosse” ta copine est plus belle ”  mais  rien de bien méchant ” comparé à ce que j’allais subir plus tard. Les enfants sont malheureusement cruels et n’ont aucune notion du bien ou du mal. »

Je lui ai demandé jusqu’où ont été ces humiliations et quel a été son positionnement? Par la suite, à quel moment la faille s’est manifestée et le non retour jusqu’à l’auto-exclusion scolaire?

« Si en primaire je cherchais davantage à être discrète, à ne pas me mélanger aux gens, au collège c’était tout l’inverse, l’homme est un animal social après tout, avait écrit Rousseau. Mon objectif c’était d’être appréciée, de parler aux gens « populaires », de faire « la bise » à ces personnes que tout le monde connaissait et valorisait. J’ai d’ailleurs à ce sujet une anecdote. Je me rappelle d’un voyage scolaire en 5ème, où quelques personnes populaires avaient dit à mon sujet, en apprenant que je partagerais leur chambre ça craint d’être avec cette vieille meuf ” .

Par ailleurs, mon adolescence a été bercée par l’âge d’or de Facebook, et je me rappelle qu’à l’époque chaque publication de photo de profil me procurait un stress immense. J’étais à l’affût sur mon téléphone à chaque notification, je guettais « ces likes » que les autres ne semblaient pas avoir de peine à récolter. Si je ne les obtenais pas, cela signifiait que j’étais une personne sans saveur, impopulaire, ou moche. Je me rappelle aussi, que je programmais mes heures de publication, en me disant « et si je publie à cette heure-ci, plus de personnes seront connectées, et disposées à « liker ». Je me rappelle également, avoir compté le nombre de publications de « messages d’anniversaires » sur mon mur facebook.

Si aujourd’hui j’en rigole, à l’époque, je prenais chaque remarque, chaque « non like » en plein cœur, et cela m’atteignait profondément, car j’étais à la poursuite perpétuelle de cette validation des autres, que j’ai délaissée aujourd’hui.

Ainsi, si ma première année de collège a été sensiblement identique aux années primaires avec l’exclusion et les remarques charmantes sur mon physique, je dois avouer que durant mon année de 5ème, j’ai eu l’impression d’avoir été acceptée telle que j’étais, et c’était la meilleure sensation au monde. 

Mais en 4ème, ce fut la fin de ma « parenthèse enchantée » si je puis l’appeler comme ça. Je me rappelle qu’au début, cette année ressemblait en tout et pour tout à une année ordinaire, avec ce petit truc en plus, si cher, pour moi à l’époque. Pour la toute première fois, des gens « populaires » semblaient me trouver intéressante. Je me rappelle avoir partagé des sorties en ville avec ces deux personnes, avoir rigolé avec elles… Au début, j’étais quasiment certaine d’avoir trouvé ma place. Pourtant, avec le temps, les rires ont commencé à devenir des moqueries, des moqueries dirigées envers ma personne, mon physique. A l’époque, du moins au début, je me disais que les « potes » faisaient cela entre eux, que c’était normal, que c’était de la taquinerie, mais j’ai compris bien trop tard que cette taquinerie n’était jamais réciproque. Je rationnalisais leurs paroles qui étaient assaisonnées de   mais on rigole, t’es trop drôle, on t’adore ” .

Si au début, seuls mes « deux nouveaux amis » s’en prenaient à moi, d’autres se sont rapidement joints à la ronde, à cette spirale infernale de la moquerie. C’est tellement plus facile de se moquer à plusieurs. Et je me rappelle avoir vécu des moments d’humiliation intense, où des personnes avaient, au sens propre, fait une ronde autour de moi pour se moquer de mon nouveau pantalon qui, selon eux, ne m’allait pas et que mon “cul tombait”. Chaque jour, on écrivait sur mes affaires, on me disait que je devrais faire de la chirurgie, que j’étais si ou ça, mais bien sûr, ils « rigolaient », et moi naïvement j’y croyais.

Au début je me forçais à accepter, je me disais que je ne devais pas le prendre personnellement, que c’était juste pour rire, mais je ne pouvais m’empêcher de me sentir triste et démunie et cela me rendait malade de ressentir ce sentiment, car après tout, tout cela n’était « que » de la taquinerie. Cependant, rapidement mon corps a pris le pas sur ce que mon cerveau me poussait à faire, et j’ai voulu tout lâcher. J’ai voulu plus d’une fois en finir, mais je n’en avais pas le courage, alors je pleurais seule de longues heures dans le noir. Je m’inventais des maladies, des histoires, pour ne plus aller en cours et j’avais parfois de longues absences au collège. A ce sujet, je me rappelle d’une professeure qui était venue me voir, pour me dire que j’avais été trop souvent absente ces derniers temps. » 

Un sentiment fort et récurrent d’exclusion

Je remercie ma patiente qui a accepté de se livrer avec sincérité et qui n’a pas hésité à parler à coeur ouvert de ses blessures passées. En analysant ses propos, on peut constater que le sentiment d’exclusion est apparu très jeune et vécu d’emblée comme une forme de prédestination dont il faut se protéger de différentes manières. En primaire, les réflexions cruelles s’adressaient le plus souvent au physique, et fusaient de part et d’autre, sans véritable alliance. Elle a choisi de s’en protéger en s’isolant du groupe et en privilégiant des amitiés uniques, sur lesquelles elle pouvait compter. Au collège, avec l’adolescence, le désir d’intégration au groupe et d’être populaire à tout prix, fait qu’elle ne se méfie plus et qu’arrivent les faux amis(e) qui font semblant de l’intégrer à un petit groupe en se moquant gentiment, puis en associant le groupe au phénomène de destruction progressive que l’on peut qualifier de harcèlement scolaire. Elle ne se méfie plus, obsédée par son désir de reconnaissance et d’être aimée à tout prix, au point de ne pas distinguer le bien du mal. Elle a abaissé toutes ses défenses sous prétexte de fausses amitiés. Elle s’est isolée dans son chagrin, n’a pas cru bon d’en parler, et a préféré s’exclure de l’école en s’inventant des maladies imaginaires pour justifier ses absences à tout son entourage. 

Personne n’a rien vu. Elle n’a rien voulu montrer, n’a pas cherché l’aide ni le réconfort. Lors de nos échanges, j’ai appris qu’elle était enfant unique dans une famille confrontée à de graves problèmes de santé pour le peu de proches qui l’entouraient, mais également  financières. Un père que l’on pourrait qualifier d’absent par son comportement quotidien. Elle véhiculait ce manque affectif et se sentait exclue d’emblée du groupe familial, voire plus tard social, dont elle se méfiait et dont elle ignorait les codes. Elle était perpétuellement écartelée entre son désir de reconnaissance qu’elle a tenté de combler, m’a-t-elle avoué plus tard, en se lançant dans de longues et difficiles études et sa méfiance du groupe qu’elle a gardé imprégnée en elle.

Des indices à observer et une vigilance constante : Comment détecter le harcèlement scolaire?

Ce phénomène de l’isolement scolaire peut laisser perplexe et laisser flotter un flou par rapport à la définition précise du harcèlement, à savoir une répétition de faits précis d’un groupe à l’encontre d’un individu isolé.Toutefois, les conséquences de l’isolement et les conséquences du harcèlement sont assez similaires, à savoir des problèmes somatiques, dépressifs, d’auto exclusion scolaire, voire des tentatives de suicide, voire suicides.

Mais alors, comment aider un enfant isolé? Face à ce flou et à la peur manifeste de se confier à un quelconque niveau auprès de l’entourage scolaire ou familial, comme évoqué notamment dans notre témoignage sur l’isolement et le harcèlement scolaire, il reste la seule possibilité de mettre en place une vigilance à tous les niveaux afin de favoriser la prévention du harcèlement à l’école.

Au sein de la famille, observer tous les changements de comportements, signes manifestes, chagrins inexpliqués, somatisations diverses (insomnies, migraines, maux de ventre ou de tête…), refus de sortir, de pratiquer une activité préférée… Et bien sûr, les absences à répétition, voire le refus de retourner à l’école, collège ou lycée.

Il serait aussi judicieux de se rapprocher du corps enseignant pour vérifier ce phénomène, par les absences injustifiées, les résultats scolaires ou un comportement délibéré d’isolation du groupe qui refuse la participation de l’un d’entre eux systématique à un travail de groupe ou d’équipe lors d’une activité sportive, par exemple. L’isolation dans une cour de récréation ou les chagrins inexpliqués dans cette même cour ou en classe sont également des indicateurs importants.

Après ce travail d’observation de toute modification inexpliquée de comportement, il faudrait tenter d’établir un dialogue sur ces manifestations et leurs causes probables avec l’enfant ou l’adolescent en établissant un climat de confiance suffisamment rassurant pour qu’il accepte de parler, malgré la peur des menaces éventuellement proférées ou la peur de “déranger”un entourage familial défaillant ou éprouvé. 

Trouver les bons mots n’est pas toujours facile et pour cela, il reste un entourage extérieur neutre où une aire de sécurité peut sembler préférable, à savoir les psychologues scolaires ou en cabinet.

La bonne personne sera celle qui saura rétablir la confiance et permettre un dialogue, pour ensuite prendre les mesures adaptées à chaque situation.

“Mes choix coup de coeur”

Pour ce billet sensible, j’ai choisi la sobriété en vous proposant un film et une chanson.

Ainsi, pour commencer, le film de Laura Wandel de 2021 “Un monde”  aborde le phénomène de l’exclusion scolaire en primaire par le biais de deux enfants d’une même famille, dont l’aîné est victime d’un harcèlement et se trouve écartelé entre le désir de protéger sa jeune soeur nouvellement arrivée, et de se protéger lui-même avec un basculement inattendu de sa part de bourreau à victime. L’intérêt de ce film est de  provoquer l’observation sans jugement du monde souvent cruel de l’enfance et de celui des adultes, qui s’avère impuissant face à ce phénomène dont il se trouve exclu.

UN MONDE, un film de Laura Wandel, Bande-annonce

On a tous au moins vu un film ou une série, où les élèves ou étudiants  populaires et non populaires cohabitent plus ou moins difficilement, ces derniers cherchant désespérément à ressembler à ce que tout le monde semble apprécier.

Echosmith évoque le désir d’intégration à tout prix au groupe mais de s’en sentir exclu à travers les propos de deux adolescents qui souhaiteraient être comme ces “cool kids” à qui tout réussit, faisant ainsi résonance au témoignage de ma patiente plus haut. La chanteuse visualise un groupe de personnes marchant en ligne avec le même rythme cardiaque, alors qu’elle se trouve à la traîne et n’y arrive pas, tout en admirant la confiance et l’invincibilité que leur donnent l’appartenance au groupe.

Echosmith – Cool Kids [Official Web Video]

Pour conclure, mes propositions “coups de coeur” ne s’arrêtent pas là, et je pense que vous-mêmes avez en tête des chansons, films, séries, livres ou bandes dessinées qui évoquent l’exclusion ou un moment où vous avez pu vous sentir particulièrement exclu et que vous pourriez partager avec moi et d’autres, afin d’élargir ce sujet sensible. 

Un arbre qui grandit dans une caverne ne porte pas de fruits.” Khalil gibran

Références : 

Andreolli, L. (2022, 4 février). « Je n’étais ni vilaine ni jolie, je n’étais rien » : Mélissa Theuriau se confie sur l’exclusion qu’elle a vécue au collège. Télé-Loisirs. https://www.programme-tv.net/news/tv/293280-je-netais-ni-vilaine-ni-jolie-je-netais-rien-melissa-theuriau-se-confie-sur-lexclusion-quelle-a-vecue-au-college.

Traduction Cool Kids par Echosmith. (s. d.). https://www.paroles.net/echosmith/paroles-cool-kids-traduction

Rousseau, A. (2022). UN MONDE. LE BLEU DU MIROIR | Critiques cinématographiques. http://www.lebleudumiroir.fr/critique-un-monde/